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Être d’abord frappé par la beauté d’un lieu avant de s’apercevoir qu’il est entièrement accessible… Pour certains architectes, loin d’être vues comme une contrainte, les normes en matière d’accessibilité agissent comme un stimulant à l’imagination. Pour preuve, ces deux réalisations remarquables qui, vingt ans après la loi handicap de 2005 rendant obligatoire l’accès à tous des établissements recevant du public, font encore figure d’exception.
Le plus souvent, une rampe d’accès pour personnes à mobilité réduite, ça se voit. Et quand le dénivelé à rattraper est important, on ne voit même que ça. Certains projets d’aménagement urbain ou paysager réussissent pourtant à en faire oublier la fonction utilitaire. Comment ? En la traitant comme un élément d’architecture à part entière, harmonieusement intégré à son environnement.
Des rampes comme fondues dans la dalle
À l’origine, en raison d’une topographie accidentée, le site verrier de Meisenthal, en Moselle, était constitué de différents niveaux accessibles par une multitude d’escaliers et de rampes. Pour améliorer les capacités d’accueil et de confort de ce lieu comprenant un musée du verre, un atelier des souffleurs de verre, une salle de spectacle et une boutique, une refonte complète du site a eu lieu en 2022.
À cette occasion, le cabinet d’architecture Freaks (en collaboration avec le cabinet new-yorkais SO-IL), a rendu l’ensemble entièrement accessible. À l’intérieur comme à l’extérieur.
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Les architectes ont ainsi imaginé, en guise de toit, une vague en béton se prolongeant par une place centrale en forme de disque incurvé épousant le relief du site. Les rampes, comme fondues dans la dalle, proposent un cheminement doux. Celui-ci offre un accès de plain-pied aux espaces en rez-de-chaussée mais aussi à certaines entrées du premier étage. Même si certains dénivelés sont légèrement supérieurs à 5 %, le maximum autorisé pour les rampes.
Pour les personnes qui ne pourraient les monter seules, des ascenseurs desservent l’ensemble des espaces du site. « Il existe un itinéraire PMR, mais il n’a pas besoin d’être indiqué, il est naturel », souligne Yves Pasquet, l’un des architectes du cabinet Freaks.
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L’accessibilité comme partie d’un tout
Autre exemple, à Dijon, celui de la passerelle menant de la gare à la Cité internationale de la gastronomie et du vin, via le jardin de l’Arquebuse. Avant son inauguration, en 2019, les personnes ne pouvant emprunter les escaliers étaient contraintes de contourner le parc. C’est le cabinet d’architecture Stoa, spécialiste de la “ville marchable”, qui a imaginé cette passerelle. En acier couleur rouille, elle se déploie en méandres sur plus de 100 mètres, serpentant autour des arbres du parc et enjambant même une rivière.
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Bien visible, cette réalisation constitue un élément paysager spectaculaire. « L’essentiel n’est pas d’être visible ou invisible mais que le parcours créé soit naturel. L’accessibilité doit toujours faire partie d’un tout », commente son concepteur, l’architecte Thierry Ciccione. En fauteuil roulant, à pied, un vélo à la main, ou en tirant une valise à roulettes… Chacun peut désormais en profiter.
« Les architectes continuent à voir l’accessibilité comme une contrainte »
Pour Nadia Sahmi, architecte assistante à la maitrise d’ouvrage, spécialiste du design inclusif, il y a encore beaucoup à faire pour convaincre sa profession. « Les architectes ne remettent plus en cause le bien-fondé de l’accessibilité, mais ils continuent de la voir comme une contrainte, à traiter rapidement, de façon hygiéniste. Je les fais retravailler, redessiner. Il faut encore se battre pour que ce soit beau. Un beau bienveillant ».
Un enjeu pas seulement esthétique. « Si la rampe est parfaitement aux normes mais dénature le paysage, elle génèrera du rejet et stigmatisera ceux qui l’utiliseront. En concevant des ouvrages que chacun a envie d’emprunter, on crée des possibilités de rencontres ».
Pour elle, d’ailleurs, adapter l’architecture aux personnes âgées ou en situation de handicap, réintroduire la lenteur, est aussi la façon la plus efficace de rendre les villes plus belles, avec davantage de courbes. « Nous sommes façonnés par des siècles de lignes droites, de grandes artères. Mais il n’y a pas de lignes droites dans la nature. »
Source: https://www.faire-face.fr/2025/02/17/accessibilite-architecture/